I l y a vingt ans, l’utilisation des anticoagulants était considérée comme une prescription à « très haut risque » en gériatrie, en raison du risque hémorragique des antivitamines K (AVK). Dans ce cadre près de 65 % des patients âgés de plus de 80 ans atteints de fibrillation atriale avec une indication aux anticoagulants n’étaient pas traités(1). Les principaux motifs avancés par les prescripteurs pour la non-utilisation des AVK étaient : un âge élevé, un risque élevé de chute, des troubles neurocognitifs, un défaut d’observance, des antécédents d’hémorragie ou une expérience clinique négative.
Il y a dix ans, l’arrivée de nouveaux anticoagulants, les « anticoagulants oraux directs » (AOD), a modifié ce paradigme et l’utilisation des anticoagulants s’est généralisée au sein de la population gériatrique. En effet, les AOD ont démontré après 75 ans une meilleure efficacité en cas de fibrillation atriale (réduction de 23 % des accidents vasculaires cérébraux) en comparaison aux AVK et surtout un moindre risque d’hémorragie cérébrale (réduction de 53 %)(2).
Depuis, plusieurs études de vraie vie réalisées chez des sujets très âgés (plus de 80 ans) ou chez des sujets âgés fragiles ont démontré une supériorité des AOD par rapport aux AVK, en termes d’efficacité et de tolérance(3). Les sujets fragiles étant même ceux qui bénéficiaient les plus des AOD en comparaison à l’absence de traitement ou en comparaison aux AVK.
Dans ce cadre, les recommandations des sociétés savantes recommandent désormais l’utilisation des AOD en première intention (recommandation de grade 1A).
L’étude de Huvent-Grelle et al.(4) publiée ce mois-ci dans La Revue de Gériatrie, menée chez des sujets âgés ambulatoires suivis en hôpital de jour mémoire (âge moyen = 84 ans), montre un mésusage des AOD dans 40 % des cas, essentiellement sous la forme d’un sous-dosage. Ces éléments sont importants à connaître, car si l’utilisation des AOD se « démocratise » en gériatrie, la prescription d’une posologie sous-dosée en AOD n’est pas efficace pour prévenir les accidents vasculaires cérébraux ischémiques liés à la fibrillation atriale. Ainsi, il a été montré qu’un sous-dosage en AOD n’est pas favorable en termes de « bénéfice/risque » chez le sujet âgé. Après 80 ans, le risque ischémique d’accident vasculaire cérébral (AVC) apparaît supérieur au risque hémorragique, en particulier les complications liées aux AVC (décès et perte d’autonomie) sont plus fréquentes en l’absence de traitement ou avec un traitement sous-dosé que les complications hémorragiques sous anticoagulants aux doses adaptées.
Il existe en France trois AOD (dabigatran, rivaroxaban et apixaban) avec pour chacun des critères d’adaptation de doses différents. Ainsi, les recommandations proposent l’utilisation d’une dose adaptée pour :
• dabigatran : si âge > 80 ans ou risque hémorragique élevé ;
• rivaroxaban : si clairance de la créatinine (formule de Cockcroft) entre 15 et 50 ml/min ;
• apixaban : si présence de 2 critères sur 3 parmi : âge > 80 ans, poids < 60 kg ou créatinine > 133 micromol/l ou si clairance de la créatinine (formule de Cockcroft) entre 15 et 30 ml/min.
La connaissance et la mise en pratique de ces éléments sont essentielles au gériatre pour une utilisation adaptée de ces thérapeutiques.
En conclusion, après une longue période de sous-utilisation
des anticoagulants, une seconde phase de « mésusage des anticoagulants » est souvent observée après 80 ans. Il appartient au gériatre de s’approprier les règles de bon usage des AOD afin d’apporter aux patients la meilleure offre en termes d’efficacité et de sécurité sous anticoagulants.
Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Article reçu le 31/03/2024 et accepté le 06/04/2024
Courriel : olivier.hanon@aphp.fr
Docteur Olivier Hanon, Université Paris Cité, Service de gériatrie, Hôpital Broca, AP-HP, Hôpitaux universitaires Paris Centre, France.
1. Go AS, Hylek EM, Chang Y, Phillips KA, Henault LE, Capra AM, et al. Anticoagulation therapy for stroke prevention in atrial fibrillation: how well do randomized trials translate into clinical practice? JAMA 2003 ; 290 : 2685-92.
2. Malik AH, Yandrapalli S, Aronow WS, Panza JA, Cooper HA. Meta-analysis of direct-acting oral anticoagulants compared with warfarin in patients >75 years of age. Am J Cardiol 2019 ; 123 : 2051-7.
3. Kim D, Yang PS, Sung JH, Jang E, Yu HT, Kim TH, et al. Effectiveness and safety of anticoagulation therapy in frail patients with atrial fibrillation. Stroke 2022 ; 53 : 1873-82.
4. Huvent-Grelle D, Del Grosso C, Chen Y, Mailliez A, Puisieux F. Évaluation de la conformité de prescription des anticoagulants oraux (AVK, AOD) chez des patients âgés présentant un antécédent de fibrillation atriale non valvulaire en hôpital de jour mémoire. Rev Geriatr 2024 ; 3 : 133-48.