Gérontologie et société no 155
Vivre le vieillir : autour du concept de déprise
Le concept de déprise vise à rendre compte de l’expérience du vieillir. Le numéro 155 de Gérontologie et Société, décline de façon passionnante cette thématique selon divers points de vue, sociologiques, philosophiques, linguistiques et gériatriques. Plusieurs approches sont réalisées, portant sur la personne âgée, son vécu et son identité, ses ruptures et ses efforts pour maintenir sa continuité, ses interactions avec l’entourage en particulier familial. Le processus de vieillissement ne peut être restreint à une accumulation de pertes et à un déclin irrémédiable sanctionnés par le retrait social. La déprise est un travail d’élaboration de l’individualisation de la personne à travers ses pertes et ses gains au cours des années. L’ensemble du numéro de Gérontologie et Société met à mal la figure homogénéisante des « personnes âgées » telle qu’étiquetée par les politiques publiques et simplement axée sur les pertes. Nous sortons ici, avec les différents auteurs, des considérations catégorielles et clivantes pourtant formellement ancrées dans de multiples domaines de la société. Porté par différentes spécialités, le concept de déprise ainsi présenté permet d’ouvrir un regard innovant sur les expériences subjectives et intersubjectives du vieillir. Deux articles concernant la ruralité hors thématiques sont présentés en outre dans le numéro 155, sur le vieillissement en communauté agricole autogérée, issue des idées satellites de 1968, d’une part et d’autre part sur l’accompagnement post-diagnostic des maladies d’Alzheimer. Ce numéro 155 est un challenge pour le gérontologue et le gériatre : penser au-delà de ce qui est communément pensé, et se donner les moyens de dépasser cet obstacle. Donc nous vous encourageons à lire ce numéro, pour relever ce superbe défi.
Caisse nationale d’assurance vieillesse
ISBN : 9782858231126
192 pages
26,50 €
La tyrannie du « Bienvieillir ». Vieillir et rester jeune
Michel BILLE, Didier MARTZ. Préface François DIAGOGNET
L’individualisme est souvent analysé comme un repli généralisé sur la vie privée, avec paradoxalement des limites floues, et des intrusions possibles entre sphère privée et publique. À tous les âges, le culte de la performance, la réussite sociale apparaissent actuellement comme de nouvelles règles du jeu social. L’enjeu est-il accessible pour tous, et n’y a-t-il pas un risque de manipulation, et ce tout particulièrement pour les personnes âgées ? « Vieillir et rester jeune » de Michel Billé et Didier Martz pointe une des modalités des nouvelles normoses sociétales et les dangers qui en résultent. Peut-on être vieux, faible, pauvre, fragile et avoir encore une place dans la société ? Ou faut-il continuer à rester jeune, dynamique, et garder des réserves de pouvoirs financiers ou autre ? Dans son ouvrage sur la fatigue d’être soi, Alain Ehrenberg proposait, il y a quelques années, une nouvelle approche de la dépression. Pour cet auteur, aujourd’hui, ce n’est plus le refoulement de désirs interdits qui est l’origine des troubles thymiques, mais un écart grandissant entre le réel vécu et l’attraction d’un possible hybris fantasmé et généré par la société. L’image de soi se modèle non à partir de ce que souhaite et peut faire la personne, mais ce que la société attend d’elle, sa réussite. L’ambivalence tient à ce que la société ne donne que l’illusion d’accéder à moindre effort à l’expérience du succès de l’individualité. L’individu ne peut donc ainsi qu’être l’unique responsable de son échec. Il devient ainsi prisonnier des contraintes qu’il imagine avoir choisi. « Le bonheur est toujours pour demain », rappellent les auteurs de la tyrannie du bienvieillir, pour signaler une des sources de désenchantement. À suivre cette illusion, l’espérance reste toujours au fond de la boîte de Cassandre. La perte d’autonomie sur le cours de sa vie, est un autre danger. À propos des fantasmes d’individuation, Anthony Giddens disait qu’il s’agissait moins d’un repli sur la sphère privée et d’un repli sur soi, que de voir un sens de sa vie imposé. La multiplication des repères attrayants n’est qu’autant de miroir des alouettes. Voyages attrayants, cosmétiques efficaces ou prometteurs, régimes et cures et tout genre, placements soi-disant juteux… Des vieux sont à vendre et à acheter. Les années accumulées n’arrêtent pas la quête de la richesse. Réalité transindividuelle, dirait Lacan, l’argent parle autant de notre fonctionnement psychique que social. Et si le chemin du bienvieillir, justement n’était pas le choix de s’éloigner des normes aliénantes pour choisir enfin, quand le retrait professionnel le permet, sa liberté ? Un travail de déconstruction des nouveaux asservissements est ainsi proposé dans cet excellent ouvrage.
Érès Éditeur
EAN : 9782749257990
264 pages
14 €