Les gériatres demandent souvent aux chirurgiens-dentistes de réaliser un assainissement bucco-dentaire dans un contexte médical d’infection focale ou de maladie auto-immune, de dénutrition, avant un traitement par biphosphonates, pour éliminer les dents mobiles avant une intervention sous anesthésie générale, etc. À l’hôpital en particulier, il s’agit de patients qui nous sont adressés par l’équipe médicale, mais qui n’ont pas souhaité cette consultation. Ceux qui ont un état dentaire dégradé redoutent l’annonce du plan de traitement, souvent synonyme d’extractions. Cette première consultation dentaire est difficile. En effet, le chirurgien-dentiste n’a en général qu’une demi-heure pour réaliser l’examen buccal, analyser le dossier médical et les radiographies dentaires, expliquer au patient la justification du traitement proposé, les solutions de réhabilitation prothétique (étapes, coût, remboursement) et, enfin, pour rédiger la réponse au médecin avec une éventuelle demande de prémédication.
Pour les rendez-vous suivants consacrés aux extractions sous anesthésie locale, il est souvent utile de prémédiquer le patient avec des anxiolytiques. Les patients souffrant de troubles cognitifs posent des difficultés spécifiques. En général, un comprimé de 10 mg d’oxazépam une heure avant l’intervention est une solution adaptée en odontologie gériatrique. En effet, tous les cabinets dentaires ne sont pas équipés pour réaliser des soins sous mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (Méopa). De plus, le Méopa risque d’augmenter l’effet hypnotique des médicaments à action centrale (opiacés, benzodiazépines, autres psychotropes), qui sont souvent prescrits aux patients âgés. L’offre de soins dentaires sous anesthésie générale ou sous sédation consciente est encore plus limitée. Quant à
l’hypnose, elle nécessite une formation du praticien et du temps disponible, ce qui est souvent peu compatible avec un programme de chirurgie.
Lors de la première consultation dentaire, les anxiolytiques ne conviennent pas pour établir un lien de confiance avec le patient et lui faire accepter le plan de traitement. Il s’agit en général de patients qui ont négligé leurs dents et qui se retrouvent brutalement confrontés à une maladie grave. La peur des extractions dentaires se surajoute à l’anxiété due à la maladie et à l’hospitalisation. C’est pourquoi nous utilisons une alternative empirique, pour prendre le temps de rassurer le patient et diminuer l’anxiété lors de la consultation dentaire initiale. Cela ne dispense pas des anxiolytiques pour les séances d’extractions, mais améliore la relation patient-praticien et facilite la réalisation des soins ultérieurs. Pour cela, il suffit de regarder le numéro du département de naissance du patient dans son numéro de Sécurité sociale, et de dire sans commentaire le nom de la préfecture et de la ou des sous-préfectures. Par exemple, 01 : « Vous êtes né dans l’Ain ? Bourg-en-Bresse, Belley, Gex, Nantua. » Dans 100 % des cas le patient sourit, et souvent il explique où il est né et où il a grandi. Presque toujours, il demande « Vous connaissez ? » Il y a deux réponses possibles : « Oui, c’est beau » ou « Non, mais il paraît que c’est beau ». On parle pendant une minute ou deux de paysages en restant strictement sur la géographie physique (montagne, rivière, fleuve, mer, océan), puis on revient au plan de traitement. L’approche est similaire avec les pays étrangers et le nom de la capitale, en repérant le 99 dans le numéro de Sécurité sociale.
Cette approche géographique est un sujet moins futile qu’il n’y paraît. Déjà, le patient est sensible à cette marque d’intérêt. Mais surtout, malgré l’article 226-1 du Code pénal, le praticien peut être enregistré ou filmé à son insu par le patient ou par une personne qui assiste à la consultation. Cette question sur les villes et la géographie du département ou du pays de naissance présente l’avantage d’être une question personnelle, mais qui n’a rien de discriminant et qui ne risque pas d’être mal interprétée, même sortie de son contexte.
La méthode des préfectures et des sous-préfectures est un petit moyen efficace, qui prend très peu de temps, sans médicament, sans équipement médical. Et il n’y a aucun risque à tenter la méthode en cas de troubles cognitifs : cela peut raviver des souvenirs anciens ou faire plaisir à l’accompagnant.
Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.